Les chansons collectées : instrument de diffusion de la culture populaire auvergnate
Ce que Henri Pourrat aimait particulièrement dans les contes c’était leur universalité :
Il est à croire qu’ils viennent de partout, furent inventés par et pour tout le monde. [...] Les contes, surtout ceux qui ont le plus à nous dire, disent simplement ceci : que pour les Fils de la Terre, il serait grand temps d’être heureux.
Introduction à l’édition anglaise du Trésor des Contes.
Partant de récits traditionnels et à l’aide d’une langue savoureuse, Henri Pourrat restituait toute la magie des contes. Il resta très fidèle à l’oralité, clé de voûte de toute son entreprise de collecte au sein des monts du Livradois et du Forez, autour d’Ambert.
Les habitants qu’il rencontrait lui livraient des légendes, à sa demande, mais lui chantaient aussi des airs traditionnels.
La collecte des chansons a été accomplie au tout début des années 1910 par Henri Pourrat et Régis Michalias (1844-1916), pharmacien à Ambert, qui l’aidait dans ce projet colossal en traduisant en français les chansons transmises en occitan. Sa transcription du dialecte auvergnat d’Ambert a par ailleurs donné lieu au Glossaire des mots particuliers du dialecte d'oc de la commune d'Ambert. Henri Pourrat travaillait également avec l’organiste d’Ambert, Emile Ossédat qui écrivait les partitions des chansons recueillies par l’écrivain.
Les chansons répertoriées sont au nombre de 440 et représentent 51% de l’ensemble de la collecte. Classées par Bernadette Bricout en dix grands segments (Chansons à danser, d'amour, rondes enfantines, chants de bergers et pastourelles, chants de soldats, de travail, chants historiques, religieux et de Mai, chants sur le mariage et les complaintes), elles sont au carrefour de nombreuses disciplines (littérature, linguistique, dialectologie, musicologie, ethnologie, etc.) et constituent un corpus très important non étudié à ce jour.
Les chansons ne connurent pas de publication. Même si leur usage demeure privé, elles reflètent une préoccupation essentielle pour la sauvegarde et la promotion de la langue, de la culture et de tout ce qui constitue l'identité des pays de langue d'oc.
Les chansons d’amour représentent 114 textes au total, soit 26% du corpus. De la naissance de l’amour, aux démarches galantes de séduction, en passant par l’éveil euphorique des sentiments et sans oublier la souffrance, tout le panel d’émotions liées à l’amour trouve une juste expression musicale. La conquête de l’être aimé donne lieu à des stratégies amoureuses parfois très cocasses, notamment le déguisement, voire le travestissement, des hommes, comme c’est le cas dans La Confession et La Fausse Nonnette.
Le langage est investi dans sa dimension ludique et cela est également visible avec les « chansons à boire ». Ce sont souvent des bourrées (danse traditionnelle auvergnate) composées de refrains à danser très courts, permettant de mémoriser la musique, comme pour La Vouole, La Gérarde.
Un thème très récurrent et constitutif de la culture populaire est celui de « la bergère et du monsieur », appartenant aussi au motif de la séduction ludique.
La bergère innocente et sage garde ses moutons en filant sa quenouille lorsqu’un jeune homme riche vient la courtiser avec de belles paroles en français et des promesses. Elle répond alors en patois et finit par le rabrouer.
Alternant dialogues et parties narratives, ces « pastourelles » (chants traditionnels attestés depuis le Moyen-Âge dans le Livradois) au climat printanier et gentiment érotique, sont au nombre de 39 dans la collecte de Henri Pourrat.
Les amours bucoliques font un pied de nez à l’amour courtois solennel car un dialogue facétieux s’instaure entre la bergère et le Monsieur. C’est ici le choc de deux cultures qui se rencontrent, avec leurs codes et valeurs très différents. La jeune bergère affirme son dialecte, son identité féminine et son attachement à la communauté rurale pour éconduire le jeune galant.
Un décalage, sorte d’écart social, se crée alors par la revendication d’une culture populaire et ce décalage provoque aussi le rire. De nombreuses variantes sont à relever, comme Bonjour belle bergère, je suis ton serviteur, et Que fais-tu bergère, que fais-tu par là ? qui sont agrémentées d’une partition mais aussi Que fais-tu donc dans le bois ? et O dis donc bergère, n'as-tu pas d'amant ? où la jeune fille répond dans son dialecte.
Les complaintes sont au nombre de 61 et leur réutilisation en prose rythmée n’est pas rare, ce qui prouve la vitalité littéraire de ces morceaux - Alexandre Vialatte puisa d’ailleurs dans des complaintes pour certaines anecdotes de son roman Les Fruits du Congo.
Chez Henri Pourrat, certaines complaintes sont retravaillées en contes, surtout parce que les thèmes abordés sont propices aux histoires tragiques.
Parmi les complaintes qui furent narrativisées pour être utilisées dans Le Trésor des Contes, nous pouvons citer L’An de la famine (II, 282), La Belle Assassinée (XIII, 256), La Belle morte à vingt ans (VI, 176), La fille soldat (III, 186) ou encore La Marguerite (I, 63).
Cette mise en prose rythmée de chansons populaires fut beaucoup critiquée, sous prétexte que c’était faire « œuvre de lettré ».
En effet, avec les chansons comme avec les contes, l’œuvre de Henri Pourrat s’éloigne de la conception folkloriste "scientifique", classant les textes et les catégorisant de manière codifiée. Pour lui, il est essentiel de restituer les chansons et les contes de façon aussi vivante que la tradition orale dont ils sont issus. La langue paysanne ne doit pas être gommée au profit d’un polissage littéraire. Au contraire, les chants sont les témoins de « l’esprit paysan » qu’il cherche, à travers sa collecte, à figer tout en l’animant.
Pour en savoir plus : Le peuple et la culture populaire dans Le Trésor des contes de Henri Pourrat, thèse de doctorat de Bernadette Bricout
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