- Un romancier auvergnat
Jean Vissouze adorait l’Auvergne, il travaillait dans la Limagne, au cœur des volcans.
Ses romans sont des aventures régionales, des fresques puissantes sur fond d’Auvergne aux paysages colorés et grandioses. Ce sont aussi des romans d’échec, où l’oppression de la vie triomphe à jamais, où le bonheur se dérobe toujours mais où les personnages viennent finalement le chercher à nouveau au cœur des Volcans. Pour écrire, Jean Vissouze s’isole d’ailleurs lui-même à la campagne, dans un cadre apaisant, loin de Paris, propice à la création.
Il s’inscrit dans la vie littéraire auvergnate déjà tout jeune étudiant puisqu’il fonda Le Gay Sçavoir, le 5 décembre 1920, journal « régionaliste, littéraire et humoristique » des étudiants clermontois. Dans ce journal écrivaient des articles Jean Vissouze lui-même, Henri Pourrat, Joseph Desaymard ou encore Alexandre Vialatte - ami de Jean Vissouze depuis leurs études universitaires, il fait état dans sa correspondance de brouilles entre écrivains auvergnats et des écrits qu’il envoie pour L’Époque et le Gay Sçavoir. Dans sa correspondance, Henri Pourrat écrit également qu’il compte faire participer Jean Vissouze à son projet de Bestiaire, avec Joseph Desaymard et Lucien Gachon, qui consiste à rassembler des proverbes, dictons locaux et dires de paysans sur les historiettes d’animaux. Les poètes et écrivains d’Auvergne formaient ainsi un important vivier de création dont la figure fédératrice de Jean Vissouze émergeait pleinement avec ses deux journaux.
- Une écriture balzacienne
Jean Blanzat (directeur littéraire des éditions Grasset) écrivait « On ne parle guère de Jean Vissouze sans ajouter aussitôt qu’il est un romancier balzacien ».
Cette analogie avec l’écriture balzacienne provient de la grande fidélité descriptive et réaliste des personnages, des lieux ou des dates. Tout est mis en œuvre pour produire un « effet » de vérité. Cette vraisemblance est très travaillée et le roman gagne en épaisseur.
Mais ce qu’il y a de balzacien dans l’écriture de Vissouze c’est aussi et paradoxalement la dimension d’invraisemblance à travers le caractère monomaniaque de certains de ses personnages par exemple : entre l’épouse dévote, la mère avare ou la fille aigrie, cupide et meurtrière, voilà le charmant tableau de sa « Comédie humaine » personnelle. Le romanesque des actions et des personnages est aussi très accentué : beaucoup de personnages meurent ou traversent un nombre de péripéties invraisemblable.
Le style de Jean Vissouze rayonne d’une certaine clarté magnétique où le réalisme côtoie l’étrangeté.
Ce qu’il recherche par dessus tout c’est « créer la vie », une certaine mimétique artistique qui doit éviter l’écueil du « romanesque artificiel », ce qu’il explique dans son entretien avec Hélène Jacques-Lerta :
Je doutais de ma connaissance du cœur humain. C’est une très grosse affaire que d’essayer par le roman de recréer la vie. Bien entendu je ne parle pas du roman romanesque. Longtemps, très longtemps je n’ai publié que des choses qui me semblaient plus simples : recherches d’archives, études de monuments, comme ma Monographie de l’église d’Ennezat, ou bien des articles divers, ou bien des poèmes dans des revues et journaux.
- Ses influences artistiques
Jean Vissouze confie que ce qui l’intéresse « c’est le témoignage, la reconstruction de la vie, la raison d’être d’un individu et d’une société. Cela, du reste, ne vaut pas seulement pour les livres que j’écris, mais également pour ceux que je lis. D’où ma prédilection pour Stendhal, pour Tolstoï : le vrai roman, à mes yeux, c’est La Guerre et la Paix. » (Propos recueillis par André Bourin, Nouvelles littéraires, 24 novembre 1947).
Il partage aussi avec les Classiques (surtout Racine) son goût des héros raffinés et cruels marqués du sceau de la Destinée. L’œuvre de Jean Vissouze est traversée de souffles chrétiens mais elle demeure en effet proche des Grecs par ce goût pour la violence de la tragédie. Il y a, dans son œuvre toute entière, une sorte d’impossibilité du bonheur qui côtoie la croyance en la fatalité.
Il revendique aussi l’influence très forte qu’eut sur lui Charles Maurras.
De nombreuses références à la musique sont présentes dans ses romans et il voue une admiration particulière pour Mozart dont il explique que « la joie et la merveilleuse jeunesse [le] transportent ».
Pour expliquer son goût pour le théâtre qui n’aboutit pourtant pas à la publication de pièces, il se confie en ces termes :
J’ai plusieurs autres pièces à l’état d’ébauches, qui peut-être ne seront jamais écrites. Cela dépend de ce qui l’emportera en moi, de l’auteur dramatique ou du romancier. Je parierais volontiers pour le second. Je me demande parfois si ce goût du roman ne me vient pas du temps où, étudiant, je mélangeais l’inspiration poétique aux disciplines historiques. Il y a de l’historien dans le romancier et réciproquement.
- Ses romans
Jean Vissouze signe son premier roman en 1945 avec La Croule.
Une fois paru, il met au propre toute la documentation rassemblée et écrit Ecir, un roman-tragédie, dans lequel Jean Vissouze tente une peinture des mœurs plus poussée que dans La Croule et plus subtile aussi, dans le cadre de Saint-Flour. Avec ce titre, il affirme son amour pour les noms mystérieux et rares. Ecir est le nom d’un vent d’hiver comparable au blizzard canadien et soufflant sur la Planèze, le plateau de Saint-Flour. Ce titre symbolise pour lui le climat et les gens de la Haute Auvergne. Il crée deux personnages moins romancés et surtout moins romanesques : Olivier Fontès, le pharmacien et sa fille Noëlle. Jean Vissouze s’inspire toujours du réel. Il explique qu’il note quelques mots et phrases caractéristiques et qu’il se fie à sa mémoire pour la conception du personnage. Il indique également que les noms et prénoms qu’il choisit ne sont pas arbitraires. Il y a une « logique et une magie des syllabes », tout un travail autour de l’onomastique chez Jean Vissouze.
Gérard Bauer attribue à l’auteur « un don d’emprunter au réel des mélanges amers » et Paul Prist salue plutôt la transposition littéraire à laquelle s’adonne l’écrivain : « L’admirable à propos d’Ecir, c’est une lumière qui domine de haut cette peinture de mœurs extrêmement subtile et profonde et l’éclaire d’un jour parfait… Ce roman est un grand roman. Il est plein de feu, plein de verve, d’une vie étonnante, d’un mouvement remarquable… »
Dans Le Jeu et l’enjeu (1949), Jean Vissouze fait le portrait de la jeunesse des années 1936-1946, à travers le destin d’Adrien Meiselet, 18 ans. C’est un jeune homme désespéré, comme beaucoup de ses compagnons. Jean Vissouze choisit souvent des personnages principaux très jeunes car il explique qu’ils lui paraissent plus vigoureux et sincères. Mais la jeunesse d’un personnage est aussi la condition sine qua non pour mêler l’anxiété à la lucidité, le sentimental naïf à la passion fougueuse.
Né à la fin de la Première Guerre mondiale, Adrien assiste aux troubles du Front Populaire. À 21 ans, il est pris par la nouvelle guerre et la défaite. L’histoire de France interfère ainsi avec son destin de citoyen, ce qui n’est pas sans rappeler Frédéric Moreau dans L’Éducation Sentimentale de Gustave Flaubert. Les tristesses du cœur sont parallèles à celles de la société.
Etudiant, clerc de notaire, soldat, précepteur, professeur libre, attaché au secrétariat de la Jeunesse, maquisard ou universitaire : Adrien subit les épreuves de sa patrie et la fatalité de sa génération tout en étant constamment à la recherche d’une position politique et philosophique à défendre. L’écrivain ne lui épargne aucune cruauté. Ce roman, comme tous les autres de Jean Vissouze, est l’histoire d’un échec.
Le Puits du miroir ou La Glace et le Feu (1963) est l’âpre peinture consacrée à un monde avide, rempli de spéculations et d’arrivisme, à travers le portrait d’Alexis Lassagne.
Jeune homme en proie à toutes les tentations, Alexis, dans une histoire ramassée sur trois jours, va tout sacrifier pour réussir. Il tourne le dos au bien et devient l’instrument de sa propre destruction.
La Montée d’Orcines en 1963 est l’histoire d’une rencontre : celle d’un peintre, Natalis, avec un homme qui répare une maison, Lucien le montagnard, et de l’industriel Paul Thierry. Au hasard d’un orage, ils se réfugient ensemble et dénouent certains mystères. Ce roman rassemble les divers éléments de la forme dramatique, notamment la grande fatalité qui surplombe la narration et qui laisse à penser que les actes des adultes résultent de l’éducation enfantine.
Le Beau Gabriel (1964) dont le titre originel était Gabriel et la St Amable est un conte érotique et cruel qui se termine par une scène d’exorcisme. C’est sans nul doute le roman le plus curieux de Jean Vissouze.
Au cours d’une petite excursion à Riom, Gabriel aperçoit une jeune fille dont le visage l’attire au point qu’il ne pense plus qu’à elle durant tout son séjour. Dans une sacristie, il entre dans un placard dans lequel il se retrouve prisonnier. Quand il en ressort, il est seul et enfermé dans la sacristie. Il voit alors sur une chaise un costume blanc et un bicorne noir. Il revêt l’habit et se coiffe du chapeau. Il trouve des clefs, sort et part à la conquête de la jeune fille. Il va alors connaître des aventures extraordinaires, mêlant l’argent, à l’alcool et à la mort. Il parvient à rejoindre celle qu’il aime mais elle ne l’intéresse plus car le destin du costume s’est cousu à sa peau et est désormais scellé à son être.
Cette œuvre sort vraiment de l’ordinaire car s’y superposent des dialogues vifs, des observations aiguës, voire cruelles, de l’humour et de la fantaisie.
Auteur méconnu, Jean Vissouze a écrit une Œuvre riche et variée qui gagnerait à être étudiée tant elle est complexe, à l’image de la vie :
Je suis trop impulsif pour suivre une ligne continue. Ce que j’écris, c’est comme la vie qui passe et dont les instants ne se ressemblent pas.
BIBLIOGRAPHIE |
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L'Eglise de Saint Victor et de Sainte Couronne d'Ennezat, monographie (1924) Glozel, Nouvelles constatations (1928) La Croule (1944) Ecir, Le Pharmacien de Saint Flour (1946) Le Jeu et l'Enjeu (1949) La Glace et le Feu ou Le Puits du Miroir (1963) La Montée d'Orcines (1963) Le Beau Gabriel ou La Procession (1964) |
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