Dans son bureau, entouré de ses oeuvres, DR Jean Anglade

 

Les notes préparatoires et les manuscrits : la fabrique de l’imaginaire de Jean Anglade

  • Des documents sacralisés


La génétique textuelle nous renseigne sur l’importance de consulter les manuscrits d’un auteur si l’on veut pénétrer dans son imagination. Le processus créatif nous est alors à moitié révélé, pour peu que l’on sache voir clair à travers les ratures et les superpositions d’écritures et de couleurs. Ces traces écrites ne divulguent certes pas la source de l’inspiration poétique mais permettent malgré tout d’accéder au travail – alors qu’il est en train de se faire - sur l’image, le rythme, la forme, la langue. Etudier un manuscrit, c’est fixer la naissance de l’oeuvre dans une forme d’intemporel car c’est un morceau de création qui naît sur le papier jauni, sous nos yeux, qui se crée, qui évolue et qui a certainement été changé par la suite mais qui constitue, malgré tout, les premiers pas, constitutifs et inséparables, de la version finale idéale.

Pénétrons maintenant, à travers les manuscrits et les notes préparatoires, dans les coulisses de la création littéraire de Jean Anglade dont Alexandre Vialatte disait qu’il était « certainement l'un de nos plus grands écrivains ».

  • La saga des Pitelet


Composé des trois ouvrages Les Ventres jaunes, La Bonne rosée et Les Permissions de Mai, le Cycle des Pitelet décrit la vie, les coutumes et les aventures d’une famille de couteliers thiernois entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle.

Les documents préparatoires au Cycle des Pitelet s’organisent en arbre généalogique qui se décline en diverses versions remaniées, arrangées, tant au point de vue de la concordance des dates de vie et de mort que des liens de sang entre les membres de la famille, pour la bonne cohérence de l’histoire. Différentes tables de calcul s’accumulent et laissent entrevoir la recherche de l’exactitude dans les âges, pour la bonne conduite de la narration.
Aucune qualité esthétique ne se discerne dans ces brouillons car ils ne sont pas destinés à être vus. Ils sont le terrain d’expérimentations, le laboratoire, les coulisses, « l’atelier de l’écrivain », un espace de liberté où tout lui est permis.
Les personnages sont décrits certes brièvement, mais ces prises de notes sont suffisantes pour voir se dessiner des « types » (Pitelet Auguste) : la description est sommaire et les phrases sont verbales. Chabanne « recueille les orphelins » tandis que Pitelet Auguste « paye les dettes de son père ».
On trouve aussi un résumé chronologique des événements. Ce résumé permet de dessiner une charpente du déroulement romanesque choisi par Jean Anglade (année après année). Le narrateur a tout prévu. Ses notes sont documentées mais une part est accordée à l’exercice de son imagination qui s’exprime alors comme celle d’un écrivain démiurge. Les personnages ont leur destinée entre les mains du créateur.
Les descriptions sont datées sur près d’un siècle, c’est un travail de titan étonnamment resserré sur des notes concises. Jean Anglade sait où il va et où il conduit son histoire.  Dans les extraits de ses notes préparatoires, ci-dessous, on distingue la construction de sa narration de 1939 à 1945 (des citations et déjà quelques lignes de dialogues toutes prêtes au sujet de la libération notamment, des réactions de personnages, certaines actions importantes, etc).
Finalement, le Cycle des Pitelet donne lieu à la personnification d’une époque sur plusieurs générations qui sont représentatives d’une société et de ses mutations : en ce sens, cette saga se rapproche, de par sa forme, des Rougon-Macquart d'Émile Zola ou de La Comédie Humaine de Balzac.

Les notes préparatoires du Cycle des Pitelet

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  • La Noël aux prunes


Comme 300 000 Espagnols ayant franchi les Pyrénées en 1939, Manuel Alcacer attend la fin du franquisme et le retour de la liberté pour pouvoir regagner son pays. De ses débuts d’instituteur en Espagne, sa participation à la guerre civile, son exil en France, les camps de concentration d'Argelès à son refuge en Auvergne, le roman nous fait suivre l’itinéraire d’une désillusion. En 1975, une nouvelle enthousiasme les réfugiés, dont Manuel fait partie : Franco est sur le point de mourir. Manuel retourne donc en Espagne après trente-huit ans d'errance. Son village est désert, en ruines. Il redevient professeur dans une école imprégnée de franquisme mais ce pays n'est plus le sien. Ce n'est plus le pays « de sa jeunesse, de ses espérances, de ses combats ; ses études, ses travaux, ses amours, il les a rêvés. » Il décide donc de retourner sur les flancs d’un volcan mort sur lequel il bâtit autrefois une maison de ses propres mains et ne se sent plus concerné que par sa vieillesse et sa solitude, définitivement désintéressé par les dictatures comme par les républiques. Jean Anglade propose dans La Noël aux prunes une fresque historique et sociale, sur fond de Castille et d’Auvergne et signe une sorte de roman d’apprentissage qui se clôt sur l’échec personnel du personnage principal, reflet de l’échec politique de toute une époque.

Les notes préparatoires pour La Noël aux prunes attestent du même principe de construction narrative que celui utilisé pour la saga des Pitelet. Les principaux événements sont décrits chronologiquement, à la différence près qu’ils sont rassemblés sous une nomination thématique et temporelle : « Enfance », « Jeunesse », « Guerre », « Vieillesse ». L’écrivain invente une vie la plus vraisemblable possible à ses personnages, une existence jusque dans les moindres détails. Il leur note ainsi des esquisses d'anecdotes qu'il exploite ou non au moment de la rédaction. Ne connaissant pas bien l’Espagne, il note parfois ses interrogations sur une feuille qui affiche, en en-tête, « à demander ». Sans doute Jean Anglade avait-il un contact espagnol qui le renseignait sur certaines zones d’ombres (la mort de Franco, certains noms, des dates, des lieux, etc.). L’exactitude est une exigence de l’écrivain quand son histoire s’inscrit dans le réel. Ainsi Jean Anglade fit des recherches sur L’Internacional, chant des ouvriers espagnols, dont il retranscrit le refrain dans son livre. On distingue aussi dans ses notes des ébauches de plan de rue et d’architecture de monuments. Ce sont des croquis à peine esquissés, sur des bouts d’enveloppes, sûrement dessinés à la hâte, mais qui renseignent surtout sur les dimensions d’une structure ou l’orientation d’un lieu. Jean Anglade suit donc un plan pour sa création, mais le premier jet manuscrit, même structuré, va encore se développer par la suite quand on le compare avec la version publiée.
Entre le schéma structuré et le roman qui fut édité, le travail de rédaction se sera évidemment développé, au rythme des relectures et des révisions de l’écrivain.

Notes préparatoires et manuscrits de La Noël aux prunes

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  • L’immeuble Taub


L'immeuble Taub est le seul bâtiment resté debout en 1948, au milieu des ruines d'une ville allemande rhénane. Cet immeuble est rempli d'une humanité qui fourmille et lutte avec violence pour ses besoins les plus primaires. Parmi tous ces combats, le plus étrange est celui du professeur Graunke qui se dénonce à la police après un crime machiavélique.

Nous vous proposons de découvrir des extraits comparatifs entre le début du roman manuscrit et sa version publiée de l’édition de 1999, suivis d’un extrait du chapitre XI, là aussi dans sa version manuscrite et publiée. Outre les ratures, on discerne de nombreux rajouts manuscrits qui sont numérotés dans les brouillons de fin. Sont à noter aussi des rajouts dans la version publiée. On constate des déplacements de phrases, parfois de paragraphes entiers. Ces documents nous montrent que la pensée se construit en s’écrivant. C’est a posteriori que l’écrivain classe, hiérarchise, sélectionne ou non ce qu’il vient de produire. La recherche du mot juste, de l’expression la plus « près » de la pensée est sensible dans ces manuscrits. Les recherches et les réflexions de l’écrivain sont en germe dans ces ratures si peu « esthétiques ». Ces coups de crayons féroces accompagnent bien souvent les tâtonnements de l’écriture et nous signifient que l’erreur est indissociable de la création.

Les manuscrits de L'Immeuble Taub

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Pour en savoir plus : exposition virtuelle de la BNF sur les brouillons d'écrivains

 

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